VOIR LA VIE AUTREMENT AVEC CYRIL AOUIZERATE
« Voir la vie autrement avec… » est la nouvelle émission de Tediber, diffusée sur Internet : une émission où l’on invite des personnalités qui, selon nous, voient la vie autrement, pour s’intéresser à leur manière bien à eux de s’y prendre !
Vous êtes ?
Alors je suis Cyril Aouizerate, avant tout un homme libre qui a toujours tenté de réconcilier sa vie d’avant, à savoir une vie dans le domaine de la philosophie (puisque j’étais professeur de philosophie), et à la fois un homme qui a voulu développer des projets culturels tels que la Flèche d’Or à Paris.
Aujourd’hui, une grande partie de ma vie est animée par les Mob hotel, et l’univers de Mob est une sorte de point d’intersection entre la philosophie, la culture et l’hospitalité.
Trois mots pour vous décrire ?
Si mes amis me décrivaient, ils diraient que je suis un camarade, un homme libre et à la fois quelqu’un d’infernal à vivre.
“Quand vous serez grand ?”
Quand je serai grand, je voudrais avoir plein de vies dans une seule vie. Et je pense que ça, c’est un désir profond qui ne tient qu’à la volonté.
Une première partie de ma vie qui a sans doute été la plus belle d’une certaine manière, c’est ma naissance à Toulouse dans un quartier populaire du Mirail. Une enfance extrêmement joyeuse dans une ambiance familiale avec tous mes cousins/cousines, mes oncles et tantes etc. Je pensais que ma cité c’était le monde et que le monde était ma cité.
Je dis toujours que le plus beau des héritages que j’ai reçu de mes parents, c’est le sentiment d’être un enfant né de l’amour. Je pense que ces images là nous accompagnent dans la vie et nous donne une sorte de force.
Dans une deuxième vie, j’ai commencé à étudier la philosophie, les mathématiques et puis j’ai commencé à enseigner. Finalement je me suis rendu compte que je n’étais peut-être pas fait pour l’enseignement, pour enfin passer de la philosophie à l’entreprise et ainsi créer des choses, des projets urbains, réfléchir à la ville d’une manière un peu utopique de voir le monde. Mais aussi créer des lieux d’hospitalité, en faisant une sorte de rappel à ce qu’a pu être l’image d’Abraham, qui pour moi d’un point de vue purement spirituel a une importance majeure dans l’idée que l’autre, celui qui est de passage, est plus important que soi-même, ou en tout cas qu’il révèle que je suis là.
Je pense que cette idée de “Quand je serai grand, j’aurai plusieurs vies”, j’en ai déjà eu quelques unes et j’espère que j’en aurai plein d’autres pour me préparer fidèlement à la vie la plus intéressante : celle d’après.
“Voir la vie autrement…”
La vie autrement c’est toujours essayer d’être dans l’action mais aussi dans la méditation. Je crois malheureusement que notre génération et encore plus la nouvelle génération ont été élevées au biberon de l’activisme le plus frénétique, et je pense que ce n’est pas propice à l’épanouissement personnel ou à l’épanouissement de nos projets d’entreprise. C’est la raison pour laquelle, chaque semaine je prends au moins 24h où je n’ai pas de téléphone et je n’utilise pas d'électricité.
C’est inné ou ça s’apprend ?
Je pense que rien n’est inné. Pour connaître un sentiment de bonheur permanent, il faut accepter d’être un disciple sans cesse.
J’essaie tous les jours, par les rencontres, d’apprendre de leur vie, de leurs passions, j’essaie d’apprendre des lectures…
J’essaie toujours de me mettre dans la position du disciple, et c’est ce qui me permet de rencontrer des gens extrêmement différents : de très grands entrepreneurs en passant par des grands sociologues et philosophes, ainsi que des personnes qui comptent dans ma vie.
Chaque être humain est une bibliothèque ambulante de sa propre vie et de ses propres connaissances.
L’évènement déclencheur ?
C’est sans doute un voyage que j’ai fait quand j’avais 17 ans avec un de mes amis à New York.
Nous partons de notre cité et nous débarquons à New York en 1986 : ville dans laquelle la culture était un chaudron, présente dans la rue, dans les caves, visible dans les métros etc… On passe donc deux mois à Brooklyn. A ce moment-là, être à New York jour et nuit, rencontrer des gens, se faire des amis que j’ai toujours d’ailleurs, ça a été une révélation.
Recommencer une vie à zéro, c’est tout à fait possible. Ce passage à Brooklyn de 1986 m’a aussi permis de découvrir culturellement le hip-hop mais également la littérature et la poésie américaine, la contre-culture. Tout cela m’a permis d’avoir un regard très libre.
“ Et si…”
Et s’il n’y avait pas eu ce voyage à Brooklyn je pense qu’il y aurait eu autre chose. J’étais suffisamment ouvert sur le rapport à l’autre pour connaître d’autres types de rencontres, d’émerveillements, avec par exemple la découverte d’un village des Pyrénées ou d’une ville très urbaine dans le nord de l’Europe ou encore le sud de l’Afrique.
Je pense que si cet événement n’avait pas eu lieu, je me serais débrouillé pour en avoir dans d’autres espaces tout simplement.
Garder un oeil neuf ?
Pour garder un oeil neuf, il faut avoir sans cesse cette curiosité, à la fois sur les objets, sur des mouvements, des évènements…
Je passe beaucoup de temps à découper des articles, des photos, même si cela fait rire tout le monde au bureau. Ils sont beaucoup plus jeunes que moi, et j’ai l’air d’un vieux con à découper des images, à remplir des cahiers et à prendre des notes sur des atmosphères qui peuvent m'interpeller. Ca peut être aussi des mots dans des interviews ou justes des phrases qui m’évoquent des choses que l'on pourrait appliquer dans l'hôtellerie.
Les innovations les plus fortes sont celles qui n’inventent rien. Je ne crois pas que nous soyons dans un siècle d’innovations absolument révolutionnaires. Je pense que l’on peut prendre un sujet, une chaise par exemple, et avoir une idée qui va la rendre plus chaleureuse, plus douce ou plus intelligente.
Il faut être espiègle dans le monde actuel, et je pense que c’est tout cela qui fait que l’on va avoir une vision différente. C’est l’idée de réunir des contraires, réunir des choses qui paraissent complètement non conciliables, et cela amène beaucoup de force.
La simple existence de l’Homme est une utopie concrète. Tout était fait au début de l’humanité pour que l’Homme disparaisse dans son rapport de force qu’il avait avec les autres espèces, avec la nature qui est extrêmement dure, et pourtant ! Il a non seulement continué à exister mais il s’est même hissé à la tête des autres espèces.
Donc finalement, l’utopie concrète, c’est une bonne définition, une bonne conclusion de ce que peut être l’Homme et notre humanité.
Votre livre de chevet ?
J’aime bien lire plusieurs livres en même temps. Mais en ce moment, mon livre de chevet est celui de Thomas Mann, qui est pour moi l’un des plus grands écrivains de tous les temps, sans doute car mon père était lui-même typographe.
Pour moi, le livre est un sujet sérieux et c’est pour cela que je ne peux pas résister, dans tous mes projets, d’en proposer à ceux qui vivent dans les hôtels que je fais.
Un livre, c’est déjà un poids donc ce n’est pas rien. C’est aussi du papier, du travail, des typographes et des écrivains évidemment. Nous avons un besoin quasiment physiologique car il y a l’idée de l’échange, de prêter, il y a des pages cornées, mais aussi des petites annotations, photos ou lettres que l’on a laissé et que l’on retrouve plus tard.
C’est une possibilité de s’échapper du monde à travers l'intelligence de l’autre. Le livre ne disparaîtra jamais car il nous amène beaucoup de liberté et d’humilité.
Avez-vous un rituel le matin/soir ?
Le rituel que j’ai le matin c’est de prier. Je ne demande rien de particulier pour moi-même.
Dans la tradition qui est la mienne, la prière a pour vocation de ce qu’on pourrait appeler la “réparation du monde”. Dans ces prières, il y a non seulement le soucis de l’Homme vis à vis de l’autre Homme mais il y a aussi le soucis de l’Homme face à la nature et à la planète.
Ce moment de spiritualité est un autre moyen qui vient se conjuguer avec d’autres engagements que j’ai dans ma vie que ce soit sur des sujets écologiques, ou des sujets qui touchent ce rapport entre l’Homme et la nature, et ainsi les inciter à venir de plus en plus dans un régime végétarien ou vegan et cela, sans jamais tomber dans des discours culpabilisants.
J’ai réussi à me créer un univers entre spiritualité et écologie, qui me correspond et qui me permet de prier le matin pour espérer que ce monde se répare et tout de suite après, passer à l’action. Tout cela me permettant d’évoluer dans le bio, de passer par des coopératives agricoles, d’inciter par notre care à opter pour des choix végétariens ou vegan.
C’est pour moi un moyen d’espérer que le monde qui s’annonce soit un monde dans lequel on fasse des sauts qualitatifs en tant qu’humain.
Avez-vous une devise ?
J’ai beaucoup de phrases qui m’accompagnent au quotidien. Beaucoup de gens disent que j’ai une sorte de tic dans ma manière de parler, qui est “Qu’est-ce qu’on peut faire ensemble”. C’est une phrase que je prononce quelques dizaines de fois par jour. (rires)
Je crois que c’est la nature même de l’être humain que de dépasser l’isolement de ce que l’on peut faire soi-même.
La nature même de l’être humain est d’être social, et il a besoin d’être à deux pour construire. Je pense que cette idée de “Qu’est-ce que l’on peut faire ensemble” est sans doute celle qui permet de réaliser beaucoup de choses, qui permet à l’autre la possibilité de répondre et cela permet également d’avoir une idée assez picturale de ce qu’une rencontre peut amener à réaliser dans le futur.